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J'ai déjà abordé ce sujet dans une précédente série d'articles. L’angle était alors limité à la structure, au choix de la verticalité ou de l’horizontalisation et surtout à la capacité de la structure de se déformer. Depuis ce printemps, j’ai été plusieurs fois sollicité pour parler de modèles organisationnels et dire celui qui me parait le meilleur. D’abord je formule l’hypothèse que si ce sujet revient aussi souvent ce n’est pas juste parce que mes interlocuteurs me reconnaissent une expertise sur le sujet mais aussi parce que nos organisations souffrent.

Qu’ils s’agissent de DRH ou de DG, je vois bien qu’il y une recherche d’alternatives permettant d’améliorer la performance ou la résilience de l’entreprise ou de résoudre des problèmes sociaux plus ou moins cachés. Je vais essayer de traiter ce point de manière plus exhaustive en abordant à la fois les différents modèles en présence et en m’intéressant non seulement à la structure[1] mais aussi à la gouvernance[2] (prise de décision, allocation des ressources…). Rappelons que le rôle de tout management est d’organiser l’activité humaine et qu’il n’y a pas besoin de coordonner ce qui peut fonctionner séparément (nous en reparlerons notamment dans le modèle ‘’distribué’’).

Vous aurez noté que le titre de cette série est « le mythe de l’organisation parfaite ». En effet la croyance qu'il pourrait exister une organisation parfaite nous pousse à chercher des modèles. Le corollaire c’est que beaucoup de personnes cherchent à trouver la faille dans les modèles dont ils ne sont pas les promoteurs et beaucoup de livres ou d’articles en sont le reflet.

J’en ai personnellement testé la plupart, en général au moins deux fois et à chaque fois la réussite comme l’échec furent au rendez-vous. Je veux vous faire profiter de mon expérience en la matière.

Les différents métamodèles en présence

Ce qui structure chaque modèle, c’est bien plus l’expression du leadership[3] que la forme que prend l’organisation. Évidemment, la forme suit le fond. J’aime beaucoup cet aphorisme « la forme c’est le fond qui remonte à la surface » (Victor Hugo). Il n’y a rien de plus vrai. L’aspect formel est la pointe émergée de l’iceberg, ce qui explique que la plupart des gens ne s’intéresse qu’à la partie la plus visible. Le leadership définit la capacité d'un individu à mener ou conduire d'autres individus ou organisations dans le but d'atteindre certains objectifs. C’est donc la manifestation d’un pouvoir plus ou moins formel, plus ou moins contraignants, toujours asymétrique.

Selon mon expérience, Il y a trois méta-modèles

·  Le leadership centralisé qui aboutit à une structure centralisée ou divisionnalisée

·  Le leadership distribué qui horizontalise la structure ou crée un réseau

·  Le leadership démocratique qui éclipse la structure

Chacun de ces méta-modèles se décomposent entre un paradigme, une structure, une gouvernance. Il est donc difficile de ne pas les considérer pour autre chose que des alternatives difficilement ‘’hybridables’’. D’ailleurs ils trouvent leur application majoritairement dans une forme juridique plutôt qu’une autre.

Nous verrons dans le détail que chacun de ces grands modèles se déclinent en modèles opératoires, les méta-modèles ne se trouvant jamais dans leur forme archétypale.

Le leadership centralisé

La centralisation du leadership est la norme que tout le monde a pu expérimenter car on le trouve présent dans la plupart des entreprises, des administrations. Tout client d’un magasin qui a demandé un remboursement, tout administré qui a dû se confronter à une administration a compris qu’il y un a un supérieur qui prend les décisions ou plus exactement que la décision remontera jusqu’au niveau de centralisation pertinent. Plus l’organisation est grande et plus ce point focalisant est éloigné, plus l’organisation est divisée et plus il est difficile de l’identifier clairement quand on est à la périphérie (donc en contact avec le client ou l’administré).

La structure mise en place par ce type de leadership est généralement pyramidale mais elle peut prendre la forme d’une structure verticale divisionnalisée (les silos que représentent les services ou les directions marchés par exemple). La structure matricielle est une structure verticale divisionnalisée qui cherchent à créer de la transversalité.  L’analogie de la pyramide reste cependant pertinente dans tous les cas car on retrouve des petites pyramides dans chaque case (silo). Une autre analogie est pertinente, celle du sablier. Le sablier résume bien les organisations contemporaines avec des prescripteurs, en haut, très loin du travail réel, en bas[AV1] 

Je n’ai jamais noté de grandes différences sectorielles, à une exception près mais pour une raison qui tient plus au paradigme qu’au secteur. Il s’agit des entreprises qui élaborent des software (SSII ou software houses). J’y reviendrai plus tard. Cette question des secteurs est toujours sous-jacente aux discussions que j’ai avec des dirigeants. Elle est normale puisque suivant la croyance qu’il existerait une organisation parfaite, on pourrait donc relier chaque type d’organisation à des critères pouvant faciliter la décision.

Le leadership distribué

Le leadership distribué trouve son fondement dans la recherche d’une concertation dynamique favorisant l’intelligence collective, l’agilité (la prise de décision au plus près du besoin aussi bien spatialement que temporellement) et la résilience. Implicitement, il cherche aussi à fédérer autour d’un sens clair, à aider chacun à trouver sa place, à créer un sentiment profond d’appartenance. Concrètement il crée un cadre permettant de développer l’autonomie et la responsabilité individuelle et collective. Je parle ainsi volontiers d’émancipation (voir chapitre x).

La distribution du leadership s’accompagne obligatoirement d’une circulation intense de l’information. Sinon à quoi servirait d’avoir un pouvoir et une compétence identifiée sans avoir les éléments pour travailler.

La distribution s’appuie sur le concept de ‘’holon’’ c’est-à-dire un niveau intermédiaire qui est à la fois une partie du tout et un tout. Cet holon peut être constitué d’un ou plusieurs individus mais il ne se superpose à aucun en particulier. Le holon est généralement un rôle ou un cercle (d’autres terminologie sont possibles) :

·      Un rôle : un rôle est défini par une raison d'être, une mission, des domaines, un niveau de compétence et des redevabilités ("l'organisation peut compter sur mon rôle pour...")

·      Un cercle : un cercle existe dès lors que plusieurs rôles ont à se coordonner

Concrètement, la distribution s’opère par subsidiarité et sur la base de mandat clairement défini. C’est ce principe -la subsidiarité- et cette formalisation -le mandat- qui assure le fonctionnement d’ensemble en respectant, à la fois, l’objectif d’autonomie et l’objectif de coordination.

La prise de décision se fait soit par autorité (je peux décider car c’est prévu par mon mandat) soit par consentement. Le consentement n’est pas le consensus[4]. Le consentement a pour mérite d’explorer des tensions formulées comme étant des objections et de rechercher collectivement une amélioration par rapport à la proposition de départ.

Arrêtons-nous un instant sur ce sujet car il est souvent source d’incompréhension. Le process de décision par consentement s’opère sur la base d’une proposition soumise à un cercle par un ou des proposant(s).  Il y a deux manières de réagir à une proposition de décision par consentement :

1.     "Je consens" : peut s'exprimer de plusieurs façons :

  1. je suis d'accord avec la décision ;
  2. je peux vivre avec, même si je préfère autre chose.

2.     "Je ne consens pas" : doit s’exprimer sous la forme d’une objection recevable. Une objection est jugée recevable lorsque celle-ci répond à l’un des critères suivants :

a.     la proposition va à l’encontre des valeurs personnelles de l’objecteur ;

b.     la proposition est contraire à la raison d’être, aux valeurs ou à d’autres éléments importants pour le projet ;

c.     la proposition empêche l’objecteur de réaliser son activité ;

Il est important de souligner que l’objecteur est tenu de participer de manière constructive à la recherche d’une solution pour lever son objection. Il est notamment encouragé à faire avancer la conversation en soumettant des contre-propositions.

De nombreux modèles organisationnels existent pour structurer cette distribution et répondre à la question centrale du comment se prennent les décisions et se gèrent les tensions.

·      Le modèle le plus contraignant est la holacratie. Le nom s’inspire du holon dont nous avons vu plus haut la signification. Il s’agit d’une marque appartenant à une organisation[5]. Toute organisation souhaitant mettre en place la holacratie doit signer la constitution et s’engage à la respecter à la lettre.

·      La sociocratie[6], développée dans les années 1970

·      La holocratie dont dérive la holacratie

·      Les organisations ‘’teal’’ (d’après le livre Reinventing Organization de Frédéric Laloux)

·      Les méthodes agiles

·      …

Ce qui ressort du leadership distribué c’est qu’il valorise la délibération[7], c’est-à-dire la confrontation entre différentes manières de voir, de penser, d’agir ou de décider. Il favorise aussi la transversalisation, la divergence féconde, l’agilité.

Le leadership démocratique ou la démocratie organisationnelle participative

La démocratie participative dans une organisation pourrait sembler être l’aboutissement d’un leadership distribué. Une organisation dans laquelle chacun est leader. Si chacun a bien la capacité d’influencer les décisions, une direction plus ou moins collégiale reste en charge d’administrer les affaires courantes et parfois exceptionnelles. Mais repartons des prémisses. La démocratie est normalement un régime politique et, en ce sens, elle n’a pas, a priori, vocation à s’appliquer dans une organisation et encore moins dans une entreprise. Dans ce « système » de gouvernement (ou à la limite de gouvernance), le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple. Certes, dans une association, par exemple, l’assemblée générale est souveraine. Une démocratie est fondée sur plusieurs principes. Il y a notamment la consultation régulière du peuple (j’y reviens juste après). Mais il y a aussi la liberté individuelle, la séparation des pouvoirs mais surtout la règle de la majorité, trois points sur lesquels je reviendrai amplement dans la seconde partie (second article) où j’aborderai les limites de chaque modèle. Une démocratie est participative dès lorsqu’elle cherche à faire participer activement les citoyens ou disons les membres d’une société. La démocratie participative est différente d’une démocratie directe. Dans la première, la direction (c’est-à-dire l’exercice effectif du pouvoir et/ou la mise en œuvre des actions décidées conjointement) est confiée à un intermédiaire, dans la seconde le peuple exerce le pouvoir exerce directement le pouvoir sans intermédiaire. Une démocratie nécessite que chaque vote pèse rigoureusement le même « poids ». Ce qui de facto élimine le concept de leadership puisque nous avons vu que celui-ci requiert une asymétrie. Appliquée dans une entreprise on parle de démocratie d’entreprise. Elle trouve rarement une application à grande échelle mais Air France par exemple a organisé une référendum pour valider ou infirmer le plan d’augmentation salarial. On trouve évidemment la démocratie en entreprise au niveau de l’actionnariat (mais dans ce cas le poids de chaque vote n’est plus unitaire mais basé sur le nombre d’actions avec droit de vote détenues).

Les modèle mutualistes et coopératifs sont eux, par contre, beaucoup plus proche d’une démocratie participative[8]. On voit aussi que certains pays comme la France cherche à encourager une forme de démocratisation des entreprises avec par exemple la Loi PACTE qui encourage l’actionnariat salarial et la représentation d’élus des salariés au sein des conseils d’administration. Le premier n’est pas réservé à de grandes entreprises mais la seconde nécessite certains prérequis structurels et juridiques.

NOTES

[1] La structure organisationnelle est le système mis en œuvre pour organiser les employés et les activités au sein de l'entreprise. Elle est à la fois de nature administrative et hiérarchique. Elle est très souvent formalisée dans un organigramme.

[2] La gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des règles notamment décisionnelles qui permettent d'assurer la bonne conduite, le bon fonctionnement et le contrôle d'un Etat, d'une institution ou d'une organisation.

[3] Comme je ne vais pas me référer exclusivement au leadership entendu comme modalité de relation interpersonnelle, je ne reprendrai pas la triade classique posée par Kurt Lewin, psychologue américain, qui distinguait le leadership autoritaire, le leadership démocratique et le leadership permissif ou “du laisser-faire”. Je ne me réfère pas davantage au 4 types de leadership dit situationnel : Directif, persuasif, participatif ou délégatif. J’encourage donc mon lecteur à ne pas tenter de faire de recoupement ou de raccourcis hâtif. J’entends ici le leadership comme une influence, une inspiration capable d’orienter l’action individuelle et collective par des pratiques cohérentes et positives permettant de créer de l’engagement.

[4] Le consensus consiste à dégager un accord commun. En l’absence de vote formel ou d’arbitrage hiérarchique, le consensus nécessite que tout le monde soit d’accord jusque sur les moindres détails ce qui se rapproche de l’unanimité. Cela pousse les participants ou à ne pas s’exprimer ou revient en pratique à donner un droit de veto aux plus perfectionniste. C’est donc un process long qui peut néanmoins être réservé à des actes fondateurs comme poser une vision collective.  

[5] Il s’agit de HolacracyOne, entreprise américaine, qui a déposé la marque et développé la méthode.

[6] On attribue l’invention du mot sociocratie à Auguste Comte au XIXème siécle. Ses racines viennent du latin societas (société) et du grec krátos (autorité) : la gouvernance du socios, c'est-à-dire des personnes liées par des relations significatives, différent du dêmos (démocratie), masse d'individus ne partageant que quelques valeurs communes (source : wikipedia).

[7] Il convient de noter que le management participatif très en vogue de la fin des années 70 jusqu’au milieu des années 90, relève du leadership centralisé. Il s’agissait d’essayer d’en gommer les effets délétères sur l’engagement mais n’intégrait pas la recherche de transversalisation, par exemple.  

[8] Appliqués plus largement, d’une certaine manière, le crowdfounding ou le crowdsourcing peuvent être des formes démocratique.

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